Arlequin Thétis (Alain-René LESAGE)

Pièce en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre à la Foire de Saint-Laurent, le 25 juillet 1713.

Personnages

THÉTIS, Arlequin

DORIS, Colombine

JUPITER, Mezzetin

NEPTUNE, le Docteur

MERCURE, Pierrot

PÉLÉE, Léandre

TROIS SIRÈNES, Scaramouche et deux Gilles

TROUPE DE PEUPLES, dansants et chantants

UN BERGER

UNE BERGÈRE

 

La scène est dans le palais de Thétis.

 

Le théâtre représente le palais de Thétis, et la mer dans l’enfoncement.

 

Scène première

 

THÉTIS, DORIS

 

DORIS.

Air 1 : Réveillez-vous, belle endormie.

Le dieu des Mers, belle Immortelle,
Pour vous soupire nuit et jour :
Quoi donc, Thétis ne sera-t-elle
Jamais sensible à son amour ?

THÉTIS.

Air 19 : Ne m’entendez-vous pas.

Neptune m’aime, hélas !
Que mon âme est troublée !
Son grand valet Pélée
A pour moi plus d’appas.
Ne m’entendez-vous pas ?

DORIS.

Air 20 : Cap de Bonne-Espérance.

Voilà le sort ordinaire
De maint seigneur amoureux ;
De l’objet qui sait lui plaire
Il croit avoir tous les vœux :
Tandis qu’avec confiance,
Il fait toute la dépense,
L’ambassadeur de ses feux
Devient son rival heureux.

THÉTIS.

Air 32 : Du haut en bas, rondeau.

Des vastes Mers
Je vois les Sirènes paraître ;
Des vastes Mers
Se font entendre leurs concerts.
Nous allons dans ce lieu champêtre
Voir bientôt arriver le Maître
Des vastes Mers.

 

 

Scène II

 

THÉTIS, DORIS, TROIS SIRÈNES

 

SCARAMOUCHE et DEUX GILLES habillés en Sirènes, viennent en chantant.

Ensemble.

Air 109 : Que faites-vous, Marguerite.

Nous forçons tout à se rendre
Par nos chants harmonieux :
Quand nos voix se font entendre,
Nous charmons jeunes et vieux.

SCARAMOUCHE.

Air 146 : Ma mère, mariez-moi.

Nous attirons par nos voix
Le Courtisan, le Bourgeois ;
Par nos voix facilement
Nous savons nous faire un destin charmant,
Par nos voix facilement
Nous nous meublons proprement.

UN GILLE.

Air 25 : Allons gai.

Prenez les douces chaînes
Comme nous des Amours ;
Car, ma foi, les Sirènes
Ne chantent pas toujours :
Allons, gai,
D’un air gai, etc.

THÉTIS.

Même air.

Avec impatience
J’attends Neptune ici.

DORIS.

Le voilà qui s’avance,
Et son Valet aussi :
Allons, gai,
D’un air gai, etc.

On voit paraître Neptune dans le fond du théâtre et les Sirènes se retirent.

THÉTIS.

Air 4 : Comme un coucou que l’amour presse.

Doris, admire l’encolure
De l’aimable Dieu des Merlans.

DORIS, souriant.

Ah ! l’appétissante figure !
Voilà la fleur des vieux galants.

 

 

Scène III

 

THÉTIS, DORIS, NEPTUNE, PÉLÉE

 

NEPTUNE s’approche de Thétis. Il la salue, et chante.

Air 14 : Voulez-vous savoir qui des deux.

Belle Thétis, je vous promets
Mes maquereaux, mes harengs frais.
Il est vrai que Jupin mon frère
A pris le gros lot, sans façon ;
Mais, je fais bien meilleure chère
Que lui, ma Déesse, en poisson.

THÉTIS.

Air 5 : Quand le péril est agréable.

Neptune, avec reconnaissance
Je reçois vos soins empressés.

NEPTUNE.

Oh, parbleu ! ce n’est point assez
Pour payer ma constance.

Même air.

Aimez-moi pour me satisfaire ;
L’amour seul peut payer l’amour.

THÉTIS.

Je vous aimerai dès ce jour,
Si vous pouvez me plaire.

DORIS, sur le ton du dernier vers.

Elle est franche et sincère.

NEPTUNE.

Air 1 : Réveillez-vous, belle endormie.

Je vous quitte aimable Déesse,
Charmant objet de mes amours.
Vous faites en vain la tigresse ;
Franchement, j’espère toujours.

DORIS.

Air 115 : Dans ces lieux, tout rit sans cesse.

Ne perdez point l’espérance,
Soyez toujours amoureux,
Amants, votre impatience
Vous a souvent empêché d’être heureux.

Neptune se retire. Thétis et Pélée se font des mines, sans que Neptune s’en aperçoive.

 

 

Scène IV

 

THÉTIS, DORIS

 

THÉTIS.

Air 11 : On n’aime point dans nos forêts.

Ah ! Doris, le charmant garçon !
As-tu bien observé Pélée ?

DORIS.

Peste ! qu’il a bonne façon !
Que sa taille est bien découplée !

THÉTIS.

Voilà ce qu’il faut à Thétis.

DORIS.

Et ce qu’il faudrait à Doris.

Pierrot, déguisé en Mercure, paraît.

 

 

Scène V

 

THÉTIS, DORIS, MERCURE

 

DORIS.

Air 56 : Pour passer doucement la vie.

Eh ! voici le seigneur Mercure,
Fidèle messager des dieux.
Pour quelle galante aventure
Venez-vous de quitter les cieux ?

Même air.

Vous cherchez de bonnes fortunes,
C’est ce qui vous amène ici ?

MERCURE.

Oh ! Je n’y viens pas pour des prunes ;
Vous le devez juger ainsi.

À Thétis.

Air 121 : Vous perdez vos pas, Nicolas

Le Maître du Tonnerre
Grille pour vos yeux doux.
Il vient dans son grand verre
De boire à Thétis vingt coups.

THÉTIS, à Mercure.

Vous y perdez vos pas,
Nicolas,
Sont tous pas perdus pour vous.

Air 14 : Voulez-vous savoir qui des deux.

Neptune et Jupin amoureux !

DORIS.

Je les écouterais tous deux ;
J’aurais des manières moins aigres...

THÉTIS.

Je partagerais mes appas !

DORIS.

Chez l’un je ferais les jours maigres,
J’irais chez l’autre les jours gras.

MERCURE.

Air 151 : Un grand drôle est amoureux

Oui, Jupin est amoureux ;
Vous lui brouillez la cervelle.
Ne faites point la cruelle :
Il veut, dans ses nouveaux feux,
Grossir la Troupe immortelle
Du moins de deux petits Dieux.

THÉTIS.

Air 64 : Lampons, lampons.

Vous êtes fort engageant ; (bis.)
Mais sachez, Monsieur l’Agent, (bis.)
Que Jupin dans cette affaire
Ne fera que de l’eau claire.
Lampons, lampons,
Camarades, lampons.

MERCURE, à Doris.

Air 2 : Quand je tiens de ce jus d’octobre.

Je vous offre, à vous, ma pratique.
Voulez-vous recevoir mes soins ?
Vous serez ma Maîtresse unique
Pendant huit ou dix jours au moins.

DORIS.

Air 7 : Tu croyais, en aimant Colette.

Pour un dieu, c’est beaucoup promettre ;
Ce sont de constantes amours.

MERCURE.

Oui, mais dans le bail je veux mettre
Une clause de quatre jours.

Il sort.

 

 

Scène VI

 

THÉTIS, DORIS

 

THÉTIS.

Air 107 : La jeune abbesse de ce lieu.

Tous les Dieux sont de francs coquets ;
Ils volent de belles en Belles ;
Leurs flammes sont des feux follets :
Les hommes sont moins infidèles
Sur ma foi, j’aimerais beaucoup mieux
Un bon grivois que tous les Dieux.

DORIS.

Même air.

Il est vrai qu’il leur faut à tous
Chaque jour des Beautés nouvelles ;
Et Jupiter n’est, entre nous,
Que le reste de cent Mortelles.
Si jamais je fais un choix ici,
Je veux avoir un homme aussi.

L’on entend gronder le tonnerre et l’on voit briller les éclairs.

DORIS.

Air 150 : Prenez bien garde à votre cotillon.

Voici Jupiter, il descend ;
Vous savez qu’il est fort pressant.
Songez que c’est un papillon.
Je m’en vais. Prenez bien garde à votre cotillon.

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

THÉTIS, seule

 

On joue la ritournelle tendre de l’Opéra, pendant que Thétis le mouchoir à la main fait le tour du théâtre, à l’imitation, de l’actrice de l’Opéra. Ensuite, elle dit le couplet suivant.

THÉTIS.

Air 86 : Pierr’ Bagnolet.

Tristes honneurs, gloire cruelle,
Je ne vous reçois qu’à regret.
Heureuse est une Mortelle
Qui peut, sans craindre le couplet,
Prendre un valet,
Prendre un valet.
Tristes honneurs, gloire cruelle,
Je ne vous reçois qu’à regret.

Jupiter descend.

 

 

Scène VIII

 

THÉTIS, JUPITER

 

JUPITER.

Air 3 : Bannissons d’ici l’humeur noire.

Savez-vous charmante Immortelle,
Ce qui m’amène en ce séjour ?
Vous voyez Jupiter, ma Belle.
Rempli de champagne et d’amour.

Air 152 : Père André disait à Grégoire.

Je ne viens point ici, Déesse,
Sous une forme d’Animal ;
Jupin en propre original
Veut vous déclarer sa tendresse.
Belle, belle, belle Thétis, voulez-vous,
Que nous fassions parler de nous ?

THÉTIS.

Air 142 : La Tampone.

Vos tendresses, (bis.)
Sont traîtresses,
Ce sont des feux d’Opéra,
Ce sont des feux d’Opéra, a a a etc.
Ce sont des feux d’Opéra,
Des feux d’Opéra.
Dès que Nicole
A fait la folle,
D’abord vous la plantez là, a a a etc.
Vous la plantez là.
Dès que Nicole
A fait la folle,
D’abord vous la plantez là, (bis.)
Vous la plantez là.
Vous la plantez là, a a a etc.
Vous la plantez là.
Vos tendresses, (bis.)
Sont traîtresses,
Ce sont des feux d’Opéra,
Ce sont des feux d’Opéra, a a a etc.
Ce sont des feux d’Opéra,
Des feux d’Opéra.

JUPITER.

Air 14 : Voulez-vous savoir qui des deux.

Non, non, Thétis n’en doutez pas,
J’aimerai toujours vos appas.
J’en vais donner une assurance ;
Je veux que les peuples divers,
(Ce qui prouve bien ma constance)
Viennent ici chanter des airs.

 

 

Scène IX

 

THÉTIS, JUPITER, PEUPLES DIVERS

 

En même temps, on voit venir les Peuples divers qui forment une danse entremêlée des couplets suivants.

UN BERGER.

Air 34 : La jeune Isabelle

Avec ma musette,
Et mon flageolet,
Je donne à Lisette
Un plaisir complet.
Sort digne d’envie !
Tout le long du jour,
Sur l’herbe fleurie
Nous faisons l’amour.

UNE BERGÈRE.

Même air.

Quand mon Berger pleure,
Et me dit : mon cœur,
Faut-il que je meure
D’un excès d’ardeur ?
D’un air favorable
Je réponds tout bas :
Non, berger aimable,
Non, ne mourez pas.

Les Peuples divers recommencent à danser, et le Chœur chante ces couplets.

CHŒUR de peuples.

Air 153 : Nos pèlerins ont bonne mine.

Que Junon fasse la Diablesse ;
Thétis de Jupin est Maîtresse,
Thétis a ce poste éclatant :
Mainte fille en voudrait autant.
Qu’il est doux d’être la Déesse
D’un grand seigneur, ou d’un traitant !

Même air.

Filles, qui sous votre puissance,
Tenez des Amants d’importance,
Laissez babiller le voisin,
Travaillez pour le magasin ;
Vous lasserez la médisance,
En allant toujours votre train.

On entend une tempête qui interrompt le divertissement, et l’on voit sortir Neptune de la mer. Thétis se retire.

 

 

Scène X

 

JUPITER, NEPTUNE

 

NEPTUNE, en colère.

Air 61 : Les Trembleurs

Me crois-tu donc sans puissance,
Ou sous ton obéissance ?
Ah ! Quelle mortelle offense !
Tu veux m’enlever Thétis !
Mais crains ma jalouse rage ;
Je vais faire du ravage ;
Tu verras un beau tapage ;
C’est moi qui t’en avertis.

JUPITER.

Air 154 : Ah ! vous avez bon air.

Oh ! Trêve de colère,
Infant, mon petit frère,
Oh ! Trêve de colère,
Quoi, vous me bravez !
Ah ! Vous avez bon aire !
Ah ! Vous avez bon aire !
Ah ! Vous avez bon aire !
Bon air vous avez !

Jupiter s’approche de Neptune et le touche de son foudre. Neptune rentre dans la mer et la pièce finit.

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